VIVRE SEUL ET HEUREUX
Solitaires à tendance asociale, ils n’aiment rien tant que leur propre compagnie. Ne voir personne et rester seul chez soi : si, pour certains, cette image relève du cauchemar, elle est pour eux un idéal de vie. Pourquoi ?
« Nous sommes tous un peu envieux de […] ceux qui savent être en tête à tête avec eux-mêmes et ne compter que sur eux », écrit le professeur Marcel Rufo, pédopsychiatre, dans Détache-moi (Anne Carrière). Dans une société de « l’hypercontact’, les solitaires suscitent notre admiration par leur faculté d’autonomie. Leur indépendance révèle une grande force de caractère, à condition qu’elle soit relayée par des moments de sociabilité. Dans le cas contraire, leur repli confine à la phobie sociale.
Un sentiment de suffisance
Mélanie, 35 ans, est célibataire. Traductrice, elle passe le plus clair de son temps seule. Un choix dont elle se dit satisfaite et fière : « Cela prouve que je n’ai besoin de personne. » Complexe de supériorité ? En tout cas, une forme de suffisance prenant sa source dans l’enfance : si l’on m’a dit que j’étais le plus intelligent, le plus fort…, pourquoi irais-je vers l’autre, qui ne m’apportera rien ?
Quand l’éducation n’a pas inculqué le goût du partage et de la découverte d’autrui, l’enfant développe un égoïsme qui peut se manifester par le retranchement. A terme, il risque de souffrir du syndrome de l’imposteur : chaque rencontre lui fait craindre d’être « démasqué », pour apparaître dans toute sa banalité et son isolement.
Une anxiété sociale
Car d’après le psychiatre et psychothérapeute Frédéric Fanget, « personne ne peut se suffire à lui-même ». Ce ne sont que « des arguments rationnels que ces solitaires se cherchent, par refus d’admettre la vraie raison de leur retranchement : la peur des autres ».
Une anxiété sociale qui peut être génétique, reconnaît Frédéric Fanget, qui s’est penché sur des études scientifiques menées aux Etats-Unis auprès d’enfants asociaux. Ou éducative, comme le confirme Stéphane, 42 ans : « On ne recevait personne à la maison. Mes parents étaient repliés sur leur couple. » Il en a développé une méfiance excessive à l’égard d’autrui : « Lorsque vos parents vous disent – et montrent – qu’il ne faut faire confiance à personne, vous en devenez individualiste ! »
Un souvenir traumatique
Ce comportement peut aussi être l’effet d’un souvenir traumatique. Adolescente réservée, Armelle, 33 ans, a subi pendant un an la sévérité d’un professeur qui l’obligeait à venir au tableau et se moquait de la voir perdre ses moyens.
Aujourd’hui, Armelle est agricultrice et se dit heureuse de sa « vie d’ermite ». Explications de Frédéric Fanget : « Quand les premières expériences de confrontation aux autres se signent par des échecs ou des humiliations, elles peuvent donner lieu plus tard à de tels comportements d’évitement. »
Une angoisse de rupture
Evitement toujours, pour ces grands solitaires qui sont conscients de leur personnalité de dépendant affectif. « Eviter de créer des liens devient une façon d’échapper au risque de tomber en état de dépendance, indique Frédéric Fanget. Ce qui les angoisse, c’est l’idée de pouvoir perdre l’autre, auquel ils se seraient attachés. » Plutôt rester seul que de revivre la douleur d’une expérience antérieure : séparation d’avec la mère, deuil ou rupture amoureuse…
QUE FAIRE ?
Allez vers les autres
Plus vous fuirez les sorties, plus vous serez angoissé par les occasions de rencontrer du monde et valoriserez le repli. Cessez d’être passif. Prenez l’initiative d’entrer en relation avec les autres. Osez ! Commencez par vous « entraîner » auprès de personnes de confiance. Allez au-devant d’elles, anticipez leur appel, proposez des rendez-vous, quitte à expliquer votre démarche. Et inspirez-vous des techniques qu’eux-mêmes emploient pour entrer en relation.
Tournez-vous vers l’extérieur
Quelle que soit la raison de votre peur des autres, elle vous donne le sentiment d’être la cible de tous les jugements lorsque vous êtes dans un groupe. Pour en finir avec ces inquiétudes, il est essentiel d’apprendre à vous « décentrer » : intéressez-vous davantage au monde, aux autres, posez-leur des questions… Autrement dit, ouvrez-vous, pour ne plus être focalisé uniquement sur votre propre personne.
Conseils à l’entourage
Ne vous fiez pas aux apparences. Il dit préférer être seul ? Entourez-le, invitez-le, conviez-le à des sorties. Et parlez-lui de vos propres angoisses ou expériences de timidité. Cela lui permettra de relativiser, de voir qu’il n’est pas seul à ressentir cette peur. Exprimez-lui votre amitié ou votre confiance en lui sans hésiter, de façon à l’encourager.
Témoignage
Carole 38 ans, graphiste : « J’ai appris à me sociabiliser »
« Enfant, déjà, je préférais être seule, à m’inventer des histoires ou à écrire. On me disait rêveuse, indépendante. Je trouvais cette image plutôt flatteuse. Les méfaits m’en sont apparus plus tard. Echouant dans ma carrière de dessinatrice indépendante, j’ai cherché du travail dans la pub… Là, les échecs se sont succédé, parce que j’étais incapable de fonctionner en groupe !
Sur le plan personnel, je ne me sentais pas plus épanouie. J’enviais ceux qui étaient entourés d’amis. J’ai entamé une psychothérapie comportementale. Grâce à des exercices aussi simples que tendre la main avant que l’on me salue, ouvrir les bras pour accueillir une personne, sourire à des inconnus, j’ai
revu toute ma gestuelle et les habitudes qui témoignaient de mon repli. J’ai appris à me sociabiliser. J’ai pris conscience que cette indépendance, que je croyais être mon choix, m’avait été “imposée” : fille unique, mes parents, qui avaient eux-mêmes très peu d’amis, me surprotégeaient. Et moi, je me satisfaisais de ce cocon. Aujourd’hui, je savoure mes journées au travail et mes soirées entre amis. C’est une libération. »
Source: Psychologies.com