Dès que leur partenaire s’absente, ils ne peuvent pas s’empêcher de s’angoisser, de regarder compulsivement leur téléphone dans l’attente d’un message ou d’un appel. Ils n’imaginent pas sortir, voir des amis ou encore aller au cinéma sans leur conjoint(e). Ils ont peur de l’abandon en permanence. Ils sont dépendants affectifs. Pour Saverio Tomasella, psychanalyste, ce besoin permanent de la présence et de l’attention de l’autre est nocif pour le couple, mais il est possible de reprendre confiance en soi et de s’émanciper.
Lise ne supporte pas la solitude et ne peut s’empêcher de s’inquiéter dès qu’elle est loin de Jean. Elle est agrippée à son téléphone dans l’attente de nouvelles, l‘appelle sans cesse, ne parvient pas à faire des activités par elle-même. François craint qu’il n’arrive malheur à Karine et se sent abandonné lorsqu’elle est loin de lui. Jaloux, il surveille ses faits et gestes et va même jusqu’à fouiller sa boîte mail. Valérie, quant à elle, évite de sortir le soir avec ses amis car elle sait que cela déplaît à Bruno, son conjoint, dont elle recherche systématiquement l’approbation. Grande angoisse face à l’abandon, sentiment de ne pas pouvoir vivre sans l’autre, difficulté à agir par eux-mêmes… Tous trois sont dépendants affectifs.
Une grande angoisse de l’abandon
« Ces personnes ont besoin de l’autre pour vivre, pour exister, pour penser. A tort, elles considèrent, ce besoin comme une nécessité vitale, explique Saverio Tomasella. Ils recréent un lien infantile avec leur conjoint, celui du nourrisson envers la mère. Ils croient devoir leur vie à l’autre, ce qui est incongru dans une relation de couple. Souvent, la cause de cette croyance est liée à un manque d’affection ou de compréhension de la part des parents,parfois même à des situations de maltraitance. L’enfant ayant vécu un sentiment d’abandon ou des expériences de rejet, d’insécurité, peut devenir dépendant affectif une fois adulte. »
Chacun de nous peut également se retrouver dans une relation de dépendance vis-à-vis de l’autre. « Les moments de notre vie où nous sommes fragilisés peuvent nous faire plonger,indique le psychanalyste. Un traumatisme, un attentat, un deuil, ou même la vieillesse, sont souvent des éléments déclencheurs. Des personnes qui prennent conscience de la possibilité de leur mort tombent parfois du jour au lendemain dans une relation de dépendance affective ».
Une dépendance qui peut prendre plusieurs formes. On peut dépendre de son conjoint financièrement, intellectuellement – Lise, par exemple, a du mal à penser et se décider par elle-même -, ou encore sexuellement. Parfois, le partenaire entretient aussi cette relation : «Un conjoint trop « protecteur » ressent le besoin de couver son « protégé », se rendant indispensable à ses yeux et pouvant ainsi le contrôler», analyse le thérapeute. Derrière la dépendance peut se cacher une forme d’emprise affective.
Des couples qui étouffent
Ces couples respirent peu. Les moments de solitude, qui permettent à chacun des conjoints de se ressourcer et vivre des expériences à l’extérieur, n’existent plus. « Les partenaires risquent de tourner en rond et se replier sur eux-mêmes », affirme Saverio Tomasella. « Le besoin systématique d’attention du dépendant affectif est accaparant pour le compagnon. Le risque, c’est l’étouffement, l’impression d’avoir un boulet au pied, de ne plus rien pouvoir faire seul. » De telles conditions favorisent la rupture… Ce qui est pourtant ce que la personne souffrant de dépendance affective craint par-dessus tout.
Faire face à l’angoisse
Dévorés par une angoisse permanente, les dépendants affectifs peinent souvent à prendre du recul face à la situation. Pourtant, « il est nécessaire de nommer, puis d’accepter cette situation, sans quoi rien ne peut changer », expose Saverio Tomasella. « Faire face à l’angoisse est le plus difficile. Il est important de comprendre que, même violente, elle ne tue pas et surtout, qu’elle finit toujours par passer. »
Mais lorsque l’angoisse monte, lorsque la totalité de ses pensées sont tournées autour de l’absence de l’autre, de l’hypothèse infondée d’une tromperie ou de la peur d’être abandonné, pas facile de relativiser. « Plutôt que de se dire « il me trompe », tenter de se dire « je l’aime, il va revenir, je lui fais confiance » et se répéter ces paroles comme un mantra, lentement, si possible à haute voix, peut aider,conseille Saverio Tomasella. Choisir une pensée valorisante qui ne concerne pas l’autre est encore plus efficace. »
Plutôt que de se jeter sur le téléphone de son conjoint pour vérifier ses sms ou de l’appeler compulsivement pour savoir où il est, mieux vaut essayer « d’accueillir sa colère, sa peur, son angoisse.Si l’on craint l’abandon, on ne sait pas quoi faire pour lutter contre cette peur. Mais on peut prendre cinq, dix minutes, en silence, pour l’examiner. Comment se manifeste-t-elle ? Que pourrait-elle nous pousser à faire ? Le simple fait d’observer une émotion la fait passer. »
Pour le psychanalyste, plusieurs solutions simples peuvent aider à faire redescendre la pression : « On peut prendre une douche froide ou chaude. Cela permet de se recentrer sur son corps, que l’on met dans de nouvelles dispositions. »Effectuer une marche de vingt minutes, une méditation pour ceux qui savent le faire, ou encore écouter une musique douce permettent également de retrouver un peu de calme en soi. « Je conseille également un exercice tout simple de respiration, en soufflant plusieurs fois très lentement et à fond lors de l’expiration», ajoute-t-il. L’essentiel : prendre du temps pour soi pour renouer avec ses centres d’intérêts, ses compétences propres. Des activités manuelles, artistiques ou sportives, permettent de se réapproprier son corps et de prendre confiance en soi.
Retrouver confiance dans l’amour de l’autre
Bien souvent, lorsqu’on est dépendant affectif, il est difficile, voire impossible, de prendre au sérieux les gestes de tendresse de l’être aimé. « Le manque de confiance en soi pousse à ne pas se croire suffisamment digne d’amour, suffisamment aimable, »explique le psychanalyste.L’objectif est de parvenir à reprendre confiance dans l’amour de l’autre et ses preuves quotidiennes. « Bien souvent, ces preuves sont effacées rapidement par la mémoire. Je conseille de noter chaque petit geste ou mot doux sur un carnet et d’y revenir régulièrement, lorsque l’inquiétude pointe. Très rapidement, le carnet sera plein !»
Du côté du conjoint, pas facile d’être sollicité en permanence, de devoir rassurer le partenaire, ou même de faire face à ses reproches. Adopter l’attitude la plus aimante et bienveillante possible en montrant beaucoup d’amour, explicitement, n’empêche pas de pointer très clairement, mais calmement, les moments où la dépendance est manifeste. Par exemple, quand le dépendant affectif est angoissé à cause d’un message resté sans réponse, dire : « Même si nous ne sommes pas ensemble, je pense à toi. J’ai tellement confiance que même si je ne peux pas te répondre, je sais que ça va aller. Tu peux faire face à ton angoisse. » Une grande générosité en amour qui implique également de ne pas se sacrifier, ni se dévitaliser. Il est capital de garder des moments pour soi : « Le piège, c’est de donner plus de temps et d’attention au compagnon dépendant. La générosité est qualitative. Il ne faut pas se laisser emporter du côté quantitatif. Quitte à envisager des aménagements comme habiter séparément. »
Source: Psychologies.com