Beaucoup les considèrent comme « à fleur de peau », « à vif », « douillets », « susceptibles ». Les hypersensibles eux-mêmes ont parfois bien du mal à vivre leur sensibilité exacerbée. Pourtant, en l’apprivoisant, ce trait de caractère devient une véritable force. Eclairage avec Saverio Tomasella, psychanalyste.
Pierre est plutôt renfermé. Il est très introverti. Il a parfois l’impression d’être une coquille vide. Ses émotions, trop fortes, n’ont jamais été acceptées par les autres quand il était petit. Il a donc décidé de les réfréner, au point de ne presque plus les ressentir. Julie, au contraire, est extravertie. Devant un film, elle rit à gorge déployée, s’émeut, pleure souvent. Elle est très créative et suit ses intuitions. Elle ressent tout très fort et le vit bien. Julie et Pierre sont hypersensibles, comme une personne sur cinq selon Elaine Aron, psychothérapeute américaine. « L’hypersensibilité est une acuité perceptive accrue qui fait ressentir les émotions de manière plus forte, explique Saverio Tomasella, psychanalyste. Quelque part, ces personnes ont gardé un cerveau d’enfant. N’importe quel stimulus, n’importe quelle information les touche. Mais l’hypersensibilité dépend avant tout de la manière dont elles éprouvent leur propre sensibilité et comment celle-ci est accueillie par leur entourage. On ne naît pas hypersensible. Dans la plupart des cas, cette particularité se développe au cours de l’histoire personnelle, dans la jeunesse. Et à sensibilité égale, certains refusent cette qualification quand d’autres la revendiquent ». La majorité d’entre eux sont des personnes introverties, timides, qui manquent de confiance en eux et peuvent être sujettes à l’angoisse. Cependant, pour le psychanalyste, un tiers des hypersensibles est plutôt extraverti, ce qui explique la différence de personnalité frappante entre Pierre et Julie.
Des personnes « à vif »
Pour beaucoup, cette forte capacité à ressentir est un handicap. Les hypersensibles ont un sentiment de « trop-plein » face à ces émotions fortes et envahissantes, l’impression d’être « à vif ». « Ces personnes se présentent fréquemment comme étant épuisées, anxieuses et se font beaucoup de soucis pour elles-mêmes et pour leurs proches », décrypte le psychanalyste dans son ouvrage Hypersensibles, trop sensibles pour être heureux ? (Eyrolles). Mais cela n’a rien d’une pathologie. Au contraire, il ne s’agit que « d’une caractéristique, comme la couleur des cheveux ». Ce n’est donc ni un atout en soi, ni un défaut. A condition de ne pas se laisser envahir par l’angoisse. « Face à une émotion trop forte, il ne faut surtout pas hésiter à faire une pause, prendre un temps calme, conseille le psychanalyste. La méditation au sens large est utile, ou la relaxation. Pour l’instant, on n’a pas trouvé mieux que de vrais moments de silence ou de retrouvailles avec soi. Cela peut passer par des instants de tranquillité, de détente, de contact avec la nature ».
Une mise à distance difficile
Si une dispute éclate à côté de Patricia, au restaurant, au travail ou en famille, impossible pour elle de rester là. « Les hypersensibles décodent, perçoivent et vivent leur rapport aux autres et au monde avec un filtre très mince, parfois même inexistant, constate le psychanalyste. En termes plus freudiens, elles refoulent peu ce qu’elles ressentent, voire en sont incapables. C’est pourquoi elles y accordent forcément de l’importance ». Patricia ne parvient pas à prendre de la distance, à se dire que cette situation conflictuelle ne la regarde pas. Elle est touchée et doit s’en aller. Les hypersensibles peuvent ressentir de manière puissante certaines situations qui paraîtraient tout à fait banales à beaucoup d’entre nous, ou vis-à-vis desquelles la plupart des gens seraient insensibles. Leur forte empathie rend notamment insupportable pour eux l’injustice ou la souffrance des autres.
Cultiver ses relations tout en se préservant
Avec des réactions parfois considérées comme disproportionnées, étranges, inadaptées, pas facile de se sentir accepté et de vivre sereinement la relation à autrui. Bien souvent, les hypersensibles font très attention au regard des autres, surtout si leurs particularités ont été mal acceptées par leur famille pendant leur enfance. Ou que leurs proches les décrivent comme susceptibles, douillets, à fleur de peau. « L’entourage décode ou interprète souvent un agacement, une bouderie ou un découragement comme de la susceptibilité, analyse le psychanalyste. Or, ce n’est que l’expression de la sensibilité. Une parole, un geste a priori anodin peut impacter profondément les hypersensibles, qui réagissent avec force ». Ces derniers se referment alors, s’agacent, ou éclatent en sanglots. Ce qui complexifie leurs rapports professionnels, amicaux ou encore amoureux. « Ils doivent apprendre à doser, prévient le psychanalyste. Se placer à trop grande distance de l’autre, c’est prendre le risque de s’exclure. A l’inverse, quand ces personnes s’approchent trop, elles sont souvent débordées émotionnellement. Il existe alors un risque de dépendance affective. L’idéal est de cultiver ses relations tout en gardant des moments de repli, pour se ressourcer ». Et se préserver des lieux, circonstances ou situations qui risquent de leur faire du mal.
Apprivoiser sa sensibilité
Dans le monde contemporain, il est parfois mal vu de laisser libre cours à l’expression de ses sentiments et de ses émotions. Pour les hypersensibles, devoir se battre quotidiennement contre leur sensibilité est épuisant. « Le risque, c’est de ne plus rien exprimer, ou pire, parvenir à ne plus ressentir. C’est alors une source supplémentaire de souffrance », déplore Saverio Tomasella. La sensibilité est comme le renard du Petit Prince. Elle ne demande qu’une seule chose : être apprivoisée. « Plus nous avons l’habitude de l’exprimer, plus elle devient une amie, une compagne fidèle. Il faut accepter de vivre ses émotions sans chercher ni à les exhiber ni à les brider, mais en assumant qu’elles puissent se voir, conseille le psychanalyste. Et surtout, ne pas culpabiliser lorsqu’elles nous débordent, c’est ce qui fait notre humanité. Il existe également un enjeu social. Les autres, qui n’osaient pas, s’autoriseront alors à en faire autant. C’est une manière de montrer l’exemple ».
En apprivoisant sa sensibilité, on peut découvrir les qualités humaines qui se cachent derrière cette fragilité apparente. Les hypersensibles sont très empathiques, très créatifs et font souvent preuve d’intuition. Pour chacune de ces qualités, le psychanalyste propose un travail quotidien pour développer ces aptitudes.
Développer l’empathie
Le conseil de Saverio Tomasella : « Les personnes hypersensibles risquent de se laisser aller à trop d’empathie et trop d’aide ou à l’inverse, se refuser absolument d’en faire preuve pour ne pas se retrouver face à une situation trop intense. Encourager son empathie, c’est d’abord accepter ce que l’on ressent. Ensuite, c’est écouter ce que le cœur nous dicte pour aider l’autre avec la limite suivante : la capacité physique et émotionnelle du jour. Dès que l’on se sent débordé par une situation trop forte, trop difficile à supporter, il vaut mieux s’arrêter. »
Libérer sa créativité
Le conseil de Saverio Tomasella : « A cause du manque de confiance en elles, nombreuses sont les personnes hypersensibles qui ne cultivent pas leur créativité. Comme un écrivain qui a besoin de prendre la plume ou un sportif de haut niveau qui doit travailler quotidiennement, un hypersensible peut s’entraîner à libérer sa créativité tous les jours, lors de la préparation d’un repas, au travail quand c’est possible, en réalisant quelque chose avec ses mains… »
Faire confiance à l’intuition
Le conseil de Saverio Tomasella : « Pas facile de faire confiance à son instinct lorsque l’on doute beaucoup. Ecouter son intuition, c’est repérer quand et comment elle se manifeste et tenir compte des signes que celle-ci nous donne avant de prendre une décision ou de s’engager dans un projet ».
Les quatre sortes d’hypersensibilité
Sensorielle : Une partie des hypersensibles est très vulnérable aux bruits, aux odeurs, à la lumière, au toucher. C’est le seul cas où l’hypersensibilité peut s’avérer innée, mais elle est le plus souvent physique (ou nerveuse) et peut aussi avoir des causes médicales.
Emotive : La plupart des hypersensibles ressentent beaucoup d’émotions, très fortement et très souvent. Conséquence : ils ont parfois une impression de « trop-plein ».
Sentimentale : Les personnes hypersensibles sont très affectives, ont besoin d’être aimées, de témoigner leur affection. Elles sont particulièrement attentives à ce qui se passe dans la relation. Elles craignent aussi souvent de gêner l’autre, de lui faire du mal.
Intellectuelle : Elles passent leur temps à réfléchir, à ruminer. « Que voulait-il me dire en m’adressant cette remarque ? » « Pourquoi ai-je réagi de la sorte ? » Bien souvent, elles doutent énormément.