Monique de Kermadec : « Les adultes surdoués souffrent d’un sentiment de décalage »
Etre surdoué : un atout ou une faiblesse ? Un grand nombre d’adultes surdoués souffrent de leurs aptitudes pourtant exceptionnelles, qu’ils vivent parfois même comme un handicap. Monique de Kermadec, psychanalyste, accompagne depuis des années ces personnes hors normes. Et les aide à faire de leur différence une véritable richesse en leur apprenant à mieux se connaître. Entretien.
Pourquoi beaucoup d’adultes surdoués sont-ils malheureux ?
Monique de Kermadec : Les adultes surdoués souffrent souvent d’un sentiment d’incompréhension. Ce sont des personnes hypersensibles, dont la grande émotivité peut être source de fragilité. Nombre d’entre elles sont parfois dépassées par leurs émotions ou connaissent des difficultés pour créer du lien avec les autres. Et se sentent seules. En fait, chacun de leurs traits de caractère peut se révéler une force ou, au contraire, une faiblesse. Par exemple, leur capacité d’investissement peut mener certaines d’entre elles à travailler 23 heures sur 24 sur un sujet qui les passionne, parfois jusqu’à l’épuisement. Alors que bien gérée, cette aptitude est un atout extraordinaire.
Il peut pourtant paraître paradoxal qu’une grande intelligence puisse être une source de souffrance…
Monique de Kermadec : Parmi les adultes surdoués que je reçois, beaucoup me confient qu’ils souhaiteraient être aimés pour eux-mêmes. Pour être acceptés, ils pensent souvent devoir renoncer à être eux-mêmes, pour essayer de se conformer à ce que les autres attendent d’eux. Leur souffrance vient d’un manque de relation satisfaisante avec le monde extérieur. Ceci résulte d’un manque de compréhension de part et d’autre, mais aussi d’une ignorance de qui ils sont et de qui sont les autres. A partir du moment où un adulte va prendre conscience qu’il est surdoué, et que cette différence peut être une force, il ne va plus faire en sorte d’être comme les autres. Mais être davantage attentif à ses rapports avec autrui, sans pour autant renoncer à qui il est.
Pourquoi les adultes surdoués ont-ils parfois du mal à s’intégrer dans la société ?
Monique de Kermadec : Certains réussissent automatiquement : ceux qui se connaissent et qui ont été accompagnés dans leur développement. D’autres, en revanche, s’ignorent, et ont besoin d’aide pour comprendre qui ils sont. Souvent en échec social, professionnel ou sentimental, ils ont beaucoup de mal à percevoir que malgré une vie qui leur paraît médiocre, ils pourraient néanmoins être surdoués. Nous avons souvent tendance à considérer que quelqu’un est exceptionnel s’il a fait de belles études, a brillamment réussi, si on a entendu parler de lui dans les médias…
Mais ce n’est pas parce que l’on n’est pas une célébrité ou que l’on n’a pas encore fait fortune que l’on n’a nécessairement pas ce qu’il faut pour réussir dans la vie ou pour réussir sa vie. Surdoué ou pas, il est important de chercher à se connaître. L’enjeu, c’est de tirer le meilleur parti de nos atouts pour mener une vie en harmonie avec qui nous sommes.
Comment expliquer que tant d’adultes surdoués s’ignorent ?
Monique de Kermadec : Les adultes surdoués qui s’ignorent sont des enfants précoces dont les aptitudes n’ont pas été détectées à l’époque par leur entourage. Ou alors, niées. Soit l’enfant n’avait pas conscience de ses dons, soit on lui a interdit de les exercer, sous prétexte qu’il fallait être comme tout le monde et qu’il ne fallait pas se faire remarquer. La plupart de ces enfants se sont sentis en décalage avec les autres, dans leur famille ou à l’école, voire rejetés à cause de leurs facilités, qu’ils ont donc assimilées à quelque chose de négatif. Ils n’avaient aucun moyen de voir qu’elles constituaient au contraire une richesse. Et sont donc arrivés à l’âge adulte sans avoir eu l’occasion de développer leurs talents. C’est pour cela qu’il est important que les parents soient attentifs : non pas pour créer des génies, mais pour aider les enfants à prendre conscience que leur différence est un atout.
La plupart des adultes qui apprennent qu’ils sont surdoués réfutent ce diagnostic dans un premier temps. Comment expliquer cette réaction ?
Monique de Kermadec : Je pense qu’elle est liée à leur ancien fonctionnement. Ils se demandent pour qui ils se prennent. Et puis se découvrir surdoué peut aussi faire peur, car cela ouvre de nouveaux horizons, et pose de nouvelles questions : « qu’est-ce que je vais faire maintenant ? ». Certains ont également du mal à s’approprier le mot « surdoué ». Mais justement, il ne s’agit que d’un mot qui permet de nommer la nature de sa différence, et non pas une étiquette avec laquelle on est obligé de vivre en permanence. Il ne s’agit en aucun cas d’entrer dans un culte de la douance. L’important, c’est d’avoir perçu quelque chose en soi et d’agir en fonction.
Comment les adultes surdoués prennent-ils conscience de leur différence ?
Monique de Kermadec : Généralement seuls, mais ils ont besoin d’une validation extérieure, neutre. Certains vont passer un test. Mais ce n’est pas obligatoire pour avoir la preuve de ses dons. Certaines personnes ont d’ailleurs très peur quand elles vont passer un test car elles le perçoivent comme un enjeu vital. Mais il n’a pas pour seul objectif de donner un chiffre de QI global. Il va surtout révéler, au sein même du fonctionnement intellectuel, des atouts privilégiés. Une excellente mémoire par exemple… Il s’agit juste d’un outil de connaissance de soi, permettant de découvrir ses forces et ses faiblesses. En réalité, la vie des adultes surdoués commence à changer dès le jour où ils lèvent l’interdiction d’y voir clair sur eux-mêmes. Il y a déjà quelque chose d’engagé dans le fait même de se demander « est-ce que je le suis ? », « et si jamais je l’étais ? ».
Pour les surdoués, le bonheur est-il possible ? A quelles conditions ?
Monique de Kermadec : Il est important qu’ils prennent conscience que leur regard différent sur le monde est une richesse pour eux et un enrichissement pour la société. Et qu’ils se donnent une certaine liberté. Il m’arrive de rencontrer des enfants surdoués qui ne font plus rien de nouveau car ils se sentent reconnus très bons dans un domaine et ont peur d’essayer autre chose, par crainte d’échouer et de ne plus être aimés. L’enjeu, c’est de s’autoriser à s’engager dans de nouvelles voies, à explorer des possibilités jamais envisagées… Et si l’on se sent perdu, de se faire aider par un spécialiste.
Source: Psychologies.com