N’ayons plus honte de rougir
« Mais c’est charmant ! » Les dénégations ont beau pleuvoir, peu importe. Nos rougissements nous plongent souvent dans des états de panique, d’angoisse et de désespoir paralysants. De quoi témoignent-ils ? Et comment ne plus rougir de rougir ?
Toute l’attention sur nous
Tout le monde en aurait-il fait autant ? « Beaucoup de gens rougissent, rassure le psychiatre Antoine Pelissolo. Même si cela ne se repère pas forcément chez les individus à la peau mate, cela ne les empêche pas de rougir eux aussi, ni d’être mal à l’aise à cause de la sensation ressentie. Le corps obéit à des variations climatiques et anatomiques. Cette manifestation physiologique sert à évacuer la chaleur. Elle se voit et se dissipe différemment selon les individus. »
Certains sont donc plus prédisposés que d’autres. Question d’environnement (chaleur, froid, vent…), de tempérament, de constitution, de carnation, de finesse de la peau. Mais pas seulement, affirme le psychiatre : « La raison principale du rougissement est généralement liée à une gêne suite à une sensation d’attention portée sur soi. » Les causes sont diverses et variées : être désigné au milieu d’une assemblée, recevoir des compliments, se retrouver en tête à tête avec quelqu’un qui nous attire. Quoi qu’il en soit, c’est parce que nous avons une ou plusieurs personnes en face de nous que le phénomène se déclenche. Personne ne rougit seul, chez soi. Car ce qui est en jeu dans cette affaire, c’est ce que nous imaginons que l’autre a perçu de nous, malgré nous. Quelque chose qui nous dépasse et qui nous submerge sans que nous puissions l’arrêter.
Un doute sur nous-même
Un vertige parfois très douloureux qu’explique la psychanalyste Marie- Magdeleine Lessana : « Nous rougissons parce que, soudain, nous nous voyons être vu. À un moment donné, nous supposons que l’autre a perçu quelque chose de nous qui nous échappe. Ce quelque chose renvoie toujours à la honte, à l’idée que notre faiblesse, nos failles sont apparues. » Sans que nous sachions les dominer ni les nommer. Cet individu sûr de lui, maîtrisé, cette identité affirmée que nous nous efforçons d’incarner dans notre vie sociale, professionnelle, parfois même intime, se trouve tout à coup fissurée dans le rougissement. Nous nous imaginons que l’autre en sait plus que nous sur nous. Selon la psychanalyste, « nous sommes censé, dans la société, apparaître comme fait d’une seule pièce. Souvent, nous nous emmitouflons dans une sorte de vêtement capitonné. Mais cet habillage est tissé de carton-pâte. Il ne correspond absolument pas à notre identité sensible et multiple. Et c’est de cet espace intérieur que provient le rougissement, de cette ambiguïté, de ce doute sur nous-même. Nous nous sentons dominé par notre faiblesse, gêné par nous-même devant un ou des autres. Nous ne savons plus où nous mettre, incarnons physiquement une envie de disparaître.Ce phénomène visible du visage est à la fois intéressant, touchant et charmant ». « C’est tellement mignon de rougir. » Combien de fois l’avons-nous entendue, cette remarque censée nous apaiser ? Pourquoi n’y croyons-nous pas et continuons-nous d’en souffrir, alors que le regard de l’autre s’emplit généralement de bienveillance face à notre aveu de fragilité ? « C’est une expérience difficilement partageable, résume Antoine Pelissolo. Elle met en jeu l’esthétique, le manque de confiance en soi, la sensation pénible d’être nu devant l’autre, et la peur de la perte de contrôle à une époque où il faut absolument maîtriser ses émotions. » Nous nous sentons lamentable, pathétique, en décalage ouvert avec ce que nous voudrions montrer. Le psychiatre confie d’ailleurs recevoir beaucoup de patients masculins souffrant d’éreutophobie, paralysés par la peur de piquer un fard à un point tel qu’ils préfèrent rester cloîtrés chez eux. Parce que le rougissement est généralement associé à la féminité, à la culpabilité. Il blesse notre orgueil, l’image que nous voudrions donner de nous-même.Et que dire lorsqu’un rapport de séduction risque de s’instaurer avec l’autre ? La peur peut en être décuplée, particulièrement si nous essayons d’étouffer notre attrait. Notre inconscient se fait alors un plaisir de signaler, par l’éruption du rougissement, notre intérêt pour l’autre. Tout à coup, ce que l’on voudrait cacher est exposé. Et l’envie de l’escamoter éclate au grand jour. Le symptôme progresse même souvent en intensité à mesure qu’il parvient à ses fins : plus nous cherchons à étouffer notre désir, plus nous rougissons.
Accepter sa sensibilité
Alors, que faire ? Il n’existe aucune recette, aucun « mode d’emploi ». En revanche, il est possible de transformer cette douleur en désagrément, d’apprendre à vivre avec. Ou en dépit d’elle… Antoine Pelissolo recommande, lorsque la crise surgit, d’essayer de se décentrer, de se concentrer non pas sur soi, sur la sensation ressentie, mais sur celui ou ceux qui nous font face. « Pour y parvenir, je demande par exemple à mes patients, lorsqu’ils sont dans la rue, de se focaliser sur les bruits extérieurs ; ou, devant la télévision, sur le présentateur de l’émission qu’ils regardent. En plus d’autres techniques, cet entraînement répété aide ensuite à mieux contrôler son attention dans les situations stressantes et à la déplacer entièrement sur l’interlocuteur, ce qui diminue progressivement les rougissements. »
Des disciplines comme la méditation, qui permettent d’ apprendre à se fixer sur l’instant présent, peuvent beaucoup aider. Marie-Magdeleine Lessana insiste, elle, sur la nécessité de penser à notre relation à l’autre, au langage, à l’échange qui nous lie : « Pour accepter le rougissement, il vaut mieux revenir à la raison pour laquelle nous sommes en lien avec l’autre. Ce qui importe, c’est de poursuivre le dialogue, de redonner un centre de gravité à un moment de flottement, de s’intéresser à l’objet de notre présence ensemble. Le rougissement peut ne pas durer grâce aux mots. Allons chercher dans la langue ce qu’il y a entre nous. »
Une phobie qui se soigne
La consultation du professeur Pelissolo, psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, est le seul lieu en France qui soit consacré au traitement de l’éreutophobie (la peur de rougir). Ce lundi matin, nous sommes sept (cinq hommes et deux femmes) face à trois jeunes femmes psychologues qui se proposent de nous aider à accepter notre phobie en une dizaine de séances.
La méthode utilisée ? Les techniques des thérapies comportementales et cognitives, ou TCC. Après un bref exposé sur le sujet, nous passons à des exercices très basiques : envoi d’une balle en prononçant nos prénoms ; entretien suivi d’une brève présentation en public de notre voisin. Tout le monde rougit, tout le monde en rit. Tout le monde souffre. Certains ont subi une intervention chirurgicale et se sont fait ôter le nerf sympathique (qui, entre autres, dilate les vaisseaux du visage), dans l’espoir d’en finir avec leur douleur, mais « la sensation n’est pas partie ». D’autres envisageaient, en arrivant, de passer sur la table d’opération. Ils n’en sont plus si convaincus en sortant…
Ce que préconise la médecine chinoise
La médecine chinoise voit dans le rougissement une mauvaise gestion des émotions. Julie Célérier, praticienne de tuina, explique qu’« il s’agit d’une lutte entre énergies saine et perverse. Quand nos émotions sont mal vécues, elles se transforment en chaleur dans le sang. Tout part du foie, que les Chinois considèrent comme l’organe maître de nos émotions. Si nous nous efforçons de contrôler sans arrêt nos sentiments, il se bloque et stocke l’énergie que nous refoulons. Cette dernière stagne, se transforme en feu, remonte ensuite vers le coeur, puis vers le visage. Notre objectif est donc de drainer, de disperser cette chaleur en pratiquant l’acupuncture ou en massant, en pressant des points clés sur le corps ».
Ses recommandations : pratiquer des activités physiques de détente (yoga, qi gong, méditation…).
Source: Psychologies – Hélène Fresnel